
L’agriculture et la pêche sont les deux principales activités des populations de la commune de Diama dans le département de Dagana. Mais depuis la construction du barrage de Diama, les responsables de l’infrastructure sous régional et les pêcheurs artisanaux de cette contrée ont de grandes divergences sur les zones de pêche dans le fleuve. Ces derniers dénoncent les nombreux interdits dont ils sont victimes pour exercer librement leur métier dans le milieu qui a vu naitre leurs aïeuls.
L’air relaxe, vêtu d’un ensemble vert, un bonnet « Cabral » négligemment posé sur la tête, le vieux Mallé Diop, porte-parole de la communauté des pêcheurs de Diama nous reçoit chez lui dans la pure hospitalité du Walo. Le franc-parler walo-walo étant légendaire, l’originaire de Gaya (village d’origine de Elh Malick Sy) n’a pas échappé à cette réputation. Après avoir décliné le but de notre visite, le vieux pêcheur dans un air nostalgique se lance dans des souvenirs des années d’avant –barrage. « La pêche est une activité qui a connu une véritable évolution avant et après l’installation du barrage. Avant 1986, et même pendant la construction du barrage, on avait le droit de pêcher où on voulait, entre Saint-Louis et Richard-Toll. Tout le long de la vallée était accessible à la communauté des pêcheurs pour y exercer librement leur métier, sans qu’on leur impose des délimitations. A partir des mois de Décembre et Janvier, l’eau de la mer remontait (période de crue) en apportant avec elle beaucoup de poissons de mer. Et entre Juin et Juillet, la descente de la mer occasionne l’arrivée des poissons d’eaux douces (djenu déex). Ce qui donnaient aux pêcheurs walo-walo, la possibilité de pêcher en plein temps dans les deux périodes. Les populations se ravitaillaient en poissons d’eau salée entre Janvier et Juin et en poissons d’eaux douces de Juillet à Décembre. Cette mobilité des ressources halieutiques, permettait aux poissons de se reposer et de se reproduire pendant les mois de Mai et Juin. C’était pourquoi la vallée était très poissonneuse. C’était également l’époque où le fleuve était le nôtre. Ce qui n’est plus le cas avec la batterie d’interdictions suspendue sur nos têtes depuis l’érection du barrage de Diama » a regretté le porte-parole de la communauté des pêcheurs de Diama. Pour le vieux Mallé Diop, même si le barrage a des avantages dans d’autres secteurs socioéconomiques, son érection a anéanti les espoirs des pêcheurs et réduit leur activité à zéro, sans aucun accompagnement des autorités locales ou nationales. « L’Etat sénégalais ne prend aucune disposition pour se soucier de notre métier surtout dans le Walo. On a longtemps sillonné le long de la vallée pour pêcher avant de se fixer ici à Diama en 1975. Mais je n’ai jamais vu un ministre de la pêche nous rendre visite pour savoir ce qu’on vit ou nous inviter à une quelconque rencontre pour recueillir nos avis. On est laissé à nous-mêmes. Les responsables du barrage ne nous autorisent aucune période pour pêcher dans les zones poissonneuses. Ils ne nous laissent pas faire notre travail dans les environs de l’ovrage. Très souvent les pêcheurs artisanaux ont des problèmes avec la sécurité. D’après certaines informations, ils sont même entrain d’installer des caméras de surveillance pour renforcer la garde. Mais une chose est sure, les pêcheurs seront toujours convoqués à la gendarmerie parce que nous ne sommes pas prêts à laisser nos familles mourir de faim ou à abandonner notre activité » s’est offusqué le vieux pêcheur.
Le barrage a tué la pêche à Diama, dixit les pêcheurs
Avant d’expliquer que les vannes du barrage sont des lieux de repos pour les poissons d’eaux douces et s’ils ne sont pas pêchés pendant cette période, l’eau salée les tue à sa remontée. « Si on les prend à ce niveau là-bas, on les sauve et on se sauve nous-même en assurant notre dépense quotidienne. La preuve, chaque année ce sont des centaines de tonnes de poissons d’eaux douces qui pourrissent au barrage. C’est nous, les pêcheurs de Diama que les responsables appellent à la rescousse pour leur débarrasser de ces tonnes de déchets. Donc pourquoi nous les interdire quand ils sont vivants et mangeables ? Cela n’a pas de chance. Qu’ils arrêtent d’avancer la thèse des accidents, la mer et l’embouchure sont des risques, mais on ne les interdit pas au pêcheur » a martelé Vieux Mallé Diop. Rappelant que la construction du barrage a aussi engendré d’autres difficultés dans leurs activités. « L’émergence des mauvaises herbes dans le fleuve (typha) sont à l’origine de la mort de centaines de tonnes de poissons par an. Les plans de circulation sur le fleuve sont réduits et certains poissons sont faits prisonniers par les herbes. Tandis que d’autres espèces les utilisent comme lieux de repos et de reproduction. Coincés dans les hautes herbes, ils meurent à cause de la chaleur, dès que la vallée connait une crue. Ce qui constitue des pertes de plusieurs milliers d’espèces. Malheureusement la situation s’empire d’année en année. En expérimenté de la pêche, je vous garantis que dans cinq (05) ans, l’activité sera morte dans cette zone. Regardez autour de nous, même les oiseaux piscivores ont fui la zone » a-t-il éclairé.
L’interdiction de pêche dictée par la sécurité des populations
Pourtant, a signalé le porte-parole des pêcheurs, depuis plusieurs années ils cherchent à raffermir les relations avec les responsables du barrage, mais en vain. « On a un collectif, mais on ne peut pas avoir un contact officiel avec les autorités du barrage. On ne se rencontre que si c’est eux qui ont besoin de nous, donc avoir des espaces d’échange pour harmoniser les points de vue, n’est pas chose facile pour nous. Ces gens n’ont pas d’estime pour nous. Ils ne vont jamais nous écouter. Ils se sont déjà faits leurs propres idées sur la communauté des pêcheurs » a ajouté le Vieux Diop. Pour les autorités du barrage, elles n’ont aucun problème particulier avec la communauté des pêcheurs de Diama. Mieux, il n’a jamais été question de leur interdire l’exercice de leur métier sur le fleuve. A en croire Seybani Aw, responsable de l’exploitation du site de Diama, l’activité de pêche leur est seulement interdit dans les environs immédiats du barrage. « Pour leur sécurité et celle de l’infrastructure, on leur demande de rester à 250 m de distance de l’ouvrage. Sinon sur tout le reste du fleuve, ils peuvent pêcher. Aucune de leurs embarcations de fortune ne peut résister à la puissance du débit de l’eau. Si quelqu’un tombe à ce niveau, il n’a aucune chance de s’en sortir. Donc, en tant que responsables, nous ne pouvons pas les laisser se hasarder dans cette dangereuse zone. Raison pour laquelle, ils ne se sont jamais d’accord avec nous, mais tant pis. On les traquera toujours pour qu’ils aillent pêcher loin des vannes. D’ailleurs le dispositif sécuritaire est renforcé par des caméras de surveillance. Ce matériel de dernière génération détectera tout introduit dans la zone interdite, même si c’est la nuit. Le barrage n’a pas vocation à la pêche, aucun programme de l’ouvrage ne concerne cette activité mais ses objectifs sont plutôt destinés à l’agriculture et à réguler le niveau du fleuve» a renseigné M. Aw. Cependant, a-t-il avancé, on peut vivre en harmonie si chaque partie respecte sa part du contrat. D’ailleurs, le village de Diama connaissait de graves problèmes d’eau potable, mais c’est grâce à l’appui du barrage qu’une bonne frange de la population en dispose aujourd’hui. « En tant que voisins et partageant la même zone géographique, sur instruction des hautes autorités, il a été mis à la disposition des populations un château d’eau gérées par elles-mêmes. La corvée d’eau potable a drastiquement diminué dans le village grâce à cette installation » a souligné Seybani Aw. D’autres actions sociales de l’Omvs sont faites régulièrement au bénéfice des populations, a-t-il conclu.
Adama SENE (Saint-Louis)